Décembre 19.. comme toutes les communes du canton, Saint Fulgeaire bourdonne paisiblement d’une douce et fébrile activité. Les premières neiges avaient doucement couvert le village d’un manteau blanc scintillant, créant un tableau hivernal d’une beauté magique. Les rues étroites semblaient maintenant comme ensorcelées sous la lumière tamisée des lampadaires. Des lueurs dorées et bleutées se confondaient, se mélangeant à travers les flocons de neige qui descendaient silencieusement du ciel étoilé.
Du haut de la colline surplombant le bourg comment ne pas confondre cette ambiance avec des maisons de poupée, tant les façades des maisons, parées de guirlandes lumineuses et de couronnes de houx, projetaient des ombres douces sur les trottoirs immaculés. Les fenêtres ornées de chaleureuses lueurs intérieures, laissent entrevoir l’éclat des bougies et des décorations de Noël.
La rue Ombrepierre parait encore plus mystérieuse que d’habitude, car elle porte bien son nom et malgré les quelques lumières de cette venelle, rôde comme un esprit de mystère dès que l’on s’y aventure. D’ailleurs, les gamins hardis comme pas deux, n’osent même plus s’y aventurer certains d’y faire une rencontre monstrueuse.
Çà et là, des silhouettes faites de flocons de neige apparaissent furtivement créant une danse féerique à chaque souffle du vent hivernal, se dissolvant aussi vite qu’entrevues.
Au centre du village, la grande place pavée accueille le sapin de Noël, majestueux comme il se doit, paré de guirlandes chatoyantes, de boules étincelantes et d’une étoile scintillante au sommet. Des enfants, les joues rougies par le froid, s’amassaient autour de l’arbre, impatients de découvrir les cadeaux qui y seraient déposés à minuit.
Bref que tout cela est beau, et bien conforme à l’idée que l’on se fait d’un Noël réussi se dit Alphonse, terminant ainsi ce songe poétique dédié aux rêveries !!
Cette silhouette que nous connaissons depuis ses aventures dans « les chemins de traverse » officie dans l’art d’être une « humeur du temps », du moins c’est ainsi qu’il aime se définir lui-même. Un scrutateur de la vie, mais surtout un grand hédoniste de cette vie.
Bien installé sur son banc de la rue des oiseaux pâles, Alphonse fouille la vieille vareuse qu’il a revêtue, et qui est la bienvenue par ce froid mordant. Elle sent un peu le renfermé, la naphtaline surtout, mais il s’y sent bien tout engoncé dedans qu’il est, comme si tout un pan de l’histoire l’avalait, l’entourait dans les pans de tissu. Décidément, cette vieille canadienne est bien confortable pense-t-il tout en continuant à l’explorer.
L’index de sa main gauche sent au fond de la doublure tout derrière comme une épaisseur, une rigidité, tout doucement en essayant de ne pas trop en agrandir le léger trou sur le côté de la poche, il en extrait un petit carnet, comme un vieux fascicule aux couleurs délavées, variant du vert au bleu, et relié par un léger fil qui avait dû être blanc.
Il l’avait oublié, d’ailleurs ne se souvenait plus de son existence. Il l’ouvre précieusement plus que cela ne le devrait, par habitude de ne pas brusquer les choses, et par respect pour ce petit objet oublié, issu d’une mémoire enfouie. Maintenant qu’il l’a entre les doigts, et qu’il n’ose encore l’ouvrir il se souvient de l’époque où effectivement il entretenait comme un journal de voyage, une marque qu’il aurait voulu laisser, il se souvient que cela correspondait à l’année de terminale, où il avait senti, pressenti comme nous le verrons, l’intérêt et la nécessité à écrire et surtout consigner les rencontres, les personnages, effectuées au gré du temps.
Il s’agissait bien sûr de ses jeunes années, mais déjà son goût, sa propension à scruter, observer, se nourrir tel un vampire de la vie, de tout ce que la vie représentait, et surtout de ses personnages l’envahissait de curiosités.
Il se souvient d’être allé à la sortie du lysée dans la ville où il était pensionnaire dans la très sérieuse librairie Dalkun, papeterie universitaire, aller choisir seul un support sur lequel noter ses observations. A la même époque, il avait été tenté par photographier ces instants, mais l’encombrement du matériel nécessaire l’a vite débouté de ce projet.
Assis sur son banc préféré là où il aime effectuer ses scrutations dans la rue des oiseaux pâles, il examine ce précieux document, et presque timidement en ouvre les pages en évitant de les corner, comme une précieuse relique, et en même temps que cet effeuillage s’effectue, ses yeux croisent des noms, des prénoms surtout, et des visages. Reviennent des visages, des sourires quelques larmes et des voix principalement, c’est celle de Pierre qui s’imposera de suite tant elle était déjà significative. C’était en novembre 19.. cela fait plus de cinquante années qui remontent ainsi s’inviter.
Comment devenir businessman ?
Avec Georges, son ami, son frère de cœur de toujours, il y avait aussi de temps à autre, ce garçon du nom de Pierre. Alphonse aimait la présence de ce camarade d’école, un enfant joyeux et rêveur, dont les yeux et l’esprit étaient aussi vastes que l’océan. Pierre, dès son plus jeune âge, rêvait de grandes choses. Il aimait écouter les histoires que lui racontait son grand-père sur les aventures des marins intrépides et des explorateurs courageux. Ces récits alimentaient sa soif d’aventure et de découverte.
Alphonse, se souvenait avec nostalgie des jours où lui et Pierre jouaient et laissaient libre cours à leurs imaginations débordantes. Cependant, la vie de Pierre prit à 13 ans un tournant inattendu lorsqu’il perdit ses parents dans un tragique accident de voiture peu avant pendant la période de Noël. Ce coup du destin ébranla le jeune homme, mais au lieu de se laisser submerger par le chagrin, il puisa dans sa force intérieure pour honorer la mémoire de ses parents.
Pierre se consacra ardemment à ses études, inspiré par les valeurs d’effort et de détermination que lui avaient inculquées ses parents.
Pierre aurait dû sagement devenir instituteur ou clerc de notaire, souhait à peine formulé par ses parents d’un métier stable et honorable, ce qui lui aurait permis de se hisser un peu plus dans la classe sociale, non pour y paraitre, mais pour profiter de revenus plus confortables, lui permettant de ne pas compter chaque mois tous les sous, comme ils le lui disaient.
Mais la tragédie comme l’on peut s’en douter donna une autre orientation à la vie et à la destinée de Pierre. Il s’était du coup réfugié chez un vieil oncle qui travaillait chez la mère Duboc une vielle originale que d’aucuns traitaient même de folle tant elle était connue pour ses frasques. Celle-ci possédait une auberge comme on n’en voit plus de nos jours, une sorte d’hôtel, de restaurant, de pension de famille tout cela ensemble. Des pensionnaires y avaient élu domicile à demeure, et parmi ces piliers s’égaraient des visiteurs de commerces et quelques touristes en verve de visiter les ruines du château du conte.
C’est dans cette ambiance parfois burlesque, que Pierre se fit et développa ainsi un sens aigu du commerce. Mais attention, pas de n’importe quel commerce, celui noble de satisfaire le client à travers un bon accord des deux partis. Trouver des chambres, organiser des repas des fêtes, des séjours des circuits. Bref un tour opérateur avant l’heure !
Naturellement, il en vint à faire des études de commerce, ce quoi n’était pas très développé car pas très prisé à ces époques des étals improvisés. Progressivement, il sentit ce qu’il y avait à faire à créer un métier nouveau. Il fut le premier en France à concevoir un réseau d’hôtellerie proposant de séjours touristiques. Il créa un holding des affiliés, des franchisés, et devint rapidement un groupe international.
Alphonse le revoit encore et toujours lorsque Pierre l’entraînait dans ses délires, à l’assaut des collines de la verte vallée, pourfendant l’air de leurs sabres imaginaires. D’ailleurs, il le revoyait de temps à autre, malheureusement le plus souvent lors d’enterrements.
De temps à autre, l’attention d’Alphonse était détournée par des senteurs enchanteresses qui flottaient dans l’air, mêlant le parfum du vin chaud aux effluves sucrées de châtaignes grillées. Le cours Theodore débordait de stands temporaires, également les rues alentour proposant des friandises de Noël, des jouets artisanaux et des décorations festives. C’était une tradition séculaire dans cette vallée haute en artisanat d’art et confiserie que cette période de Noël soit propice à ces étalages alléchants. Les Fulgerains déambulaient avec des tasses fumantes, échangeant des sourires chaleureux et des vœux de joyeuses fêtes.
Quel drôle d’aventure repense Alphonse toujours emporté par sa lecture, toujours sur son banc rue des oiseaux pâles. Le parcours de Pierre ne fait que confirmer ce qu’Alphonse à toujours pensé pour lui-même et pour les autres, la vie se construit de ces rencontres choisies ou fortuites. Ses doigts, légèrement engourdis par le froid que les mitaines peinaient à protéger, ne le dérangeaient pas tant qu’il pouvait parvenir à parcourir ce petit carnet en tournant toutes les pages.
Autant d‘instantané de vie, ces flashes saisissant à la volée ces personnages qui s’étalent sur une longue période, qui en réalité couvre des dizaines d’année de parcours de vie. Et puis il y a ceux qui sont disparus se souvient Alphonse, évitant d’ailleurs dans un premier temps de trop s’y attarder, peut-être la peur d’être confronté à sa sensibilité qu’il n’osait monter.
Le romantisme pourrait donc tuer ?
Jeanne, une autre personne chère à son cœur, connue elle aussi dans la cour de récré alors qu’ils faisaient partie de ces petits pioupious insouciants. Elle faisait partie de la bande avec Georges et Marcel, mais venait plus épisodiquement car elle aidait sa mère à la mercerie à trier les livraisons et à les mettre en rayon, ce qu’elle adorait d’ailleurs, Alphonse aimait venir la chercher dans l’échoppe, et ils couraient à se rompre le cœur, à se rompre jusqu’au chemin du grand chêne l’un de points de rencontre favoris où il y avait assurément quelque belle rencontre à y faire.
Jeanne était partie à Paris chez une tante pour y passer le brevet, ce qui était plus commode pour ses études. Après son brevet, elle fut rapidement embauchée dans la librairie dans laquelle elle venait dépanner de temps à autre, habituée qu’elle était de la mise en rayon. Elle vivait depuis ses 17 ans une vie simple, travaillant comme libraire dans sa petite boutique près de la Seine. Jeanne avait développé un amour profond pour la littérature et les arts, et sa vie était empreinte d’une certaine mélancolie, à force de se plonger dans ses aventures romantiques à fin tragique.
Jeanne fit une rencontre un jour pluvieux de novembre, alors que les rues pavées de Paris étaient illuminées par la lueur des réverbères, Jeanne y fit une rencontre qui allait changer sa vie. Elle était toute pétrie de la soif d’aventures romanesques, la lumière des lampadaires, la brume de novembre, les silhouettes englouties par ce brouillard. C’est dans cette ambiance qu’elle croisa le regard intense d’un homme jeune, élégant, vêtu d’un manteau sombre et coiffé d’un chapeau à larges bords. Un style succédané hors du temps qui coulait si bien dans cette atmosphère.
Cet homme mystérieux se nommait Henri. Henri était un écrivain, bohème bien sûr, car, qui peut décemment vivre de cet art ? Le hasard faisait bien les choses, il venait déposer à la librairie son roman édité à frais d’auteur.
Leur rencontre fortuite se prolongea naturellement dans cette librairie pittoresque, et semblait être orchestrée par le destin. Jeanne et Henri commencèrent à échanger des idées, des rêves et des aspirations au fil de conversations interminables dans un café voisin. C’était un homme passionné par les mots et en quête d’inspiration, se souvient de lire Alphonse encore sous l’émotion des souvenirs de ces courriers, et de leurs correspondances.
Les deux âmes passionnées ne pouvaient pas passer à côté d’une romance envoûtante, qui naquit et s’épanouit entre ces deux âmes passionnées. Les balades le long de la Seine, les visites aux cafés animés de Montparnasse, de Saint-Germain et les soirées passées à discuter de poésie et de philosophie forgèrent ce lien indéfectible entre Jeanne et Henri. Alphonse toujours dans ses clichés entendait cet amour comme une flamme brûlante, illuminant les jours gris de Paris.
Le jeune couple avait trouvé un logement confortable rue du Bac non loin de la libraire au deuxième étage. Mais Henri était tout jeune, il avait à peine deux années de plus que Jeanne, et usant de différents subterfuges, il avait réussi à éviter jusque-là le service militaire qui était de deux années dans ces années incertaines qui ont vu les grands conflits éclater. Mais là impossible d’y échapper Henri avait épuisé tous les recours pour y échapper. Alphonse observa de loin la séparation dramatique que le service obligatoire imposait au jeune couple de passionnés, de réels inséparables aimait il à penser. La correspondance entre Jeanne et Henri devint leur seul lien pendant le premier mois. Henri était comme beaucoup de sursitaires envoyés dans un régiment d’infanterie très dur, presque disciplinaire. Les lettres d’Henri dissimulaient à grand-peine la détresse du jeune homme, qui était mal mené, moqué, et vraisemblablement plus par les autres conscrits, car un écrivain romantique dans un bataillon d’infanterie ça passe mal, pensait Alphonse, ça ne passera même jamais.
Un jour de printemps, une lettre annonça la nouvelle dévastatrice à Jeanne : Henri était décédé lors d’une manœuvre. L’enquête militaire avait vite conclu à une malveillance, mais de là à penser que c’était volontaire … Mais Jeanne compris vite qu’Henri à bout avait voulu en finir et avait commis l’irréparable. Comment imaginer le cœur de Jeanne, autrefois rempli d’amour et d’optimisme, autrement que de se briser. Alphonse se remémore du moment où il a reçu un dernier courrier de Jeanne, il ne voulut pas le garder, car il en avait compris l’issue. Elle pleura son amour perdu, gardant précieusement dans un premier temps, toutes les lettres comme un lien avec le passé.
C’est une discussion avec Georges qui clôturera l’aventure de Jeanne, lorsque ce dernier vint à la rencontre d’Alphonse lui annonçant sans trop de ménagement d’ailleurs, ce qui n’est pas habituel, mais devait être dû à la non-maîtrise de l’émotion, « je viens de voir le curé, il vient de m’apprendre le décès de Jeanne ».
Alphonse et Georges ont réussi à établir ce qui s’était passé, mais que la famille de Jeanne ne souhaitait ni entendre, ni révéler. Un beau soir d’été alors que le soleil illuminait les tours de Notre Dame, Jeanne pétrie par son romantisme et le cœur inexorable brisé à jamais a glissé longtemps, très longtemps le long du parapet du pont Saint-Michel. Seul un lointain passant aperçu la frêle silhouette doucement s’enfoncer dans la Seine.
Son histoire d’amour avec Henri demeura gravée dans les annales de Saint Fulgeaire, dans les annales du temps aussi, surtout comme un témoignage éternel de la beauté tragique des rencontres et des pertes. Et ainsi, l’histoire de Jeanne et de son amour perdu continua de flotter comme une page jaunie dans ce carnet du passé, rappelant que l’amour peut transcender le temps, même dans la douleur de la séparation.
Rue des oiseaux pâles.
Alphonse promenait son regard bleu gris plein de lumières sur ces badauds autour de lui, le bruissement de Noël le ramena à ce froid mordant en l’invitant à aller prendre un vin chaud. Il décida de tourner par la grande rue dans laquelle les boutiques du bourg avaient revêtues leurs plus belles décorations, attirant les passants par des vitrines débordantes de cadeaux festifs. La rue du Frout particulièrement commerçante était animée par cette effervescence si particulière des préparatifs de Noël, chacun cherchant le cadeau parfait pour ses proches. C’est là qu’Alphonse décida de boire son vin chaud.
Bien réchauffé par ce subtil breuvage imprégné de cannelle et de clou de girofle Alphonse réinstallé sur son observatoire retira à nouveau son petit carnet, la lumière était encore haute il était 15h, il avait cet espace suffisant pour se glisser dans sa découverte de ces histoires parfois restée en suspens.
Faut-il croire aux étoiles ?
Ah oui une sombre et triste histoire aussi que celle de Guillaume, se surprend à penser Alphonse les doigts à nouveau remplis de ces pages. Guillaume ne faisait pas réellement partie de la bande, car c’était un garçon plus jeune, qu’Alphonse avait très tôt observé, car il donnait l’impression d’être toujours dans la lune. Comme un rêveur invétéré, un contemplatif qui passait ses journées à scruter l’horizon. Une étrangeté évidente dans son attitude comme organisée avec l’espoir d’une aventure qui donnerait un sens à sa vie.
Dès son plus jeune âge, Guillaume était convaincu qu’un événement extraordinaire l’attendait. Il attendait, chaque jour, quelque chose d’indéfinissable. C’était comme si le destin lui avait promis quelque chose de grandiose, mais sans lui fournir de détails. C’était observable dans le fait qu’il était là, mais en même temps jamais là, comme s’il n’était pas incarné dans sa réalité, dans sa vie. Au détriment et désespoir de ses parents d’ailleurs, Alphonse se souvient avoir entendu sa mère être navrée de ce fils insaisissable, charmant, mais totalement ailleurs.
Ailleurs, oui, mais où ? Il se laissait porter par l’air du temps, plein d’insouciance, comme si tout allait se révéler à lui, une rencontre, oui, sûrement une rencontre, ou alors une idée. Quoi de mieux qu’une idée qui illuminerait la vie de Guillaume. Bien sûr qu’autrement, il était un enfant normal, normal mais bizarre, il était docile, il faisait tout ce qu’on lui disait comme si tout lui glissait dessus comme si dans l’attente de ce destin rien n’avait d’intérêt véritable.
Bien sûr que Guillaume n’avait pas conscience de cela, il répondait d’ailleurs volontiers en grandissant : « Plus tard, plus tard, ce n’est pas important, ne vous inquiétez pas ». Enfin bref, tout ce qui montrait que le temps construit notre vie lui échappait, puisque cette chose extraordinaire lui arriverait, assurément.
Bien sûr qu’il n’avait pas conscience de cela, comme Alphonse vient de l’évoquer. Ce sont les échanges qu’il a eus avec les proches de Guillaume qui lui ont permis de mettre à jour de façon assez évidente cette structure mentale. Une espèce de personnalité d’un faux stoïcisme sans le savoir, et sans le vouloir auquel tout échappait. C’est vraisemblablement le seul des connaissances d’Alphonse qui connut ce drôle de parcours. Tous les autres volontairement ou non, ont été soumis à des changements, à des décisions, bonnes ou mauvaises à prendre, mais Guillaume non, comme si tout cela ne le concernait pas, lui glissait même totalement dessus.
Jean de la lune comme se plaisaient à l’appeler les enfants, Guillaume passait donc ses heures à observer le ciel, espérant voir un signe divin ou un éclat de lumière annonçant enfin l’accomplissement de son destin. Il errait à travers les rues tranquilles de Saint Fulgeaire scrutant chaque coin comme s’il cachait le secret de sa quête insaisissable.
Les saisons passèrent, les années s’écoulèrent, mais l’événement tant attendu par Guillaume ne se manifesta toujours pas, jamais même. Ses amis, il avait peu d’amis de ce fait, ses voisins le regardaient avec perplexité, se demandant ce qui pouvait bien captiver son esprit. Certains pensaient qu’il cherchait un trésor enfoui, d’autres croyaient qu’il attendait l’arrivée d’un messager mystique. Mais assurément Guillaume lui vivait dans ses rêves, il fit le minimum d’études et après le brevet, il travailla chez le géomètre de la commune voisine.
Peut-être était-ce une malice, pensait Alphonse, car Guillaume qui a toujours les yeux au-dessus de la ligne bleue des Vosges, doit savoir effectivement mieux que quiconque tracer de ces beaux relevés et croquis ! Bien sûr que ce joli garçon, s’est flétri assez rapidement, car trop rêver ça fait vieillir plus que l’on n’y pense jamais assez, pensait Alphonse moqueur.
Guillaume, cependant, semblait résolu, comme résigné à son attente. Bien que joli garçon disions-nous, même faire une rencontre sentimentale ne l’intéressait pas. Il semblait avoir remplacé cela par un étrange rituel. Parfois certaines nuits dont personnes ne connut exactement les raisons Guillaume se tenait au sommet de la colline surplombant Saint Fulgeaire, observant le crépuscule, comme saisi d’une foi inébranlable. Les étoiles semblèrent être devenus ses compagnons silencieux, témoins de son espoir constant.
Au fil du temps, Guillaume vieillit. Les lignes du temps marquèrent son visage, mais son regard demeura empreint d’anticipation. Vraisemblablement, qu’il ne cessa d’attendre et de croire en son fabuleux destin, mais toujours est-il qu’un beau matin, il ne s’est pas présenté à l’étude du géomètre. Le médecin conclut à un décès de mort naturelle. Aussi mystérieuse que naturelle cette mort assurément douce, emporta donc Guillaume à coup sûr au pays des étoiles. C’était vraisemblablement sa destinée pensa Alphonse !
Rue des oiseaux pâles.
Rue des oiseaux pâles la lumière du jour se confondait avec celle des lampadaires allumés volontairement très tôt ce jour spécial de noël. Alphonse avait suffisamment chaud pour conserver bien emmitouflé dans sa pelisse la lecture de ce fabuleux carnet, comme si chaque page regorgeait de chimériques histoires. Tout autour la magie de Noël continuait de plus belle à envelopper Saint Fulgeaire de son éclat féerique. Tout était là et qui y contribuait, les rues, sous le manteau neigeux, devenaient le théâtre d’une célébration chaleureuse et d’une communion joyeuse.
Cette ambiance est véritablement propice à cette immersion ressentait Alphonse qui comme avec une forme de volupté continuait à parcourir ce petit carnet vert bleu aux pages suffisamment jaunies pour exprimer le fait du temps. Et il resta un moment silencieux arrivant à ces pages où apparaissait l’histoire de Claude cette drôle de personne. Décidément, pensa Alphonse, que de parcours aussi différents construits sur des hasards, des belles ou des mauvaises rencontres.
L’ordre et l’austérité sont-ils des bons conseillers ?
Claude, Alphonse ne l’avait pas réellement croisée, elle était plus âgée d’une dizaine d’années, elle était connue de tous pour sa vie marquée par la moralité stricte et l’austérité. Depuis sa jeunesse, elle s’était bâti une forteresse de principes rigides, se privant de tout plaisir et confort au nom d’une vie vertueuse.
Claude avait grandi dans une famille où les valeurs morales n’étaient pas véritablement érigées en tant que fondements de l’existence. Ses parents, des âmes bienveillantes étaient certes stricts, mais pas au point d’inculquer l’idée que la vie était obligatoirement un chemin de vertu et que les tentations et les plaisirs étaient les ennemis du bien-être spirituel.
Les deux frères et la petite sœur de Claude ont mené des vies tout à fait dans la norme des petites bourgades de l’époque se rappela Alphonse. Mais elle, et allez savoir pourquoi elle embrassa de façon assez inexpliquée cette philosophie d’une vie de devoir, pleine d’austérité et de rigueur, et cela, avec dévouement. Claude fuyait de façon maladive et obsessionnelle tout ce qui était léger, futile, tout ce qui était agréable en somme. Comme si toute idée de plaisir était a priori condamnable.
Non pas qu’il s’agissait d’un puritanisme religieux poussé à l’extrême, mais comme une sorte de nonne laïque. Son métier d’économe dans la maison de retraite lui convenait à merveille, tout du mois à son employeur qui était la commune, car un sou étant un sou, pas de dépenses inutiles avec Claude. Pas évident que les petits vieux en pensaient autant réfléchissait Alphonse, mais au moins, il y avait du personnel agréable et la possibilité de dégâts commis par Claude était donc très limité.
Elle n’eut bien sûr pas de vie sentimentale, du moins de ce qui est connu, mais à ce propos dans des bourgades comme Saint Fulgeaire tout se sait.
Tous ces renoncements aux divertissements frivoles, aux plaisirs culinaires, et même à l’amour, considérant ces joies terrestres comme des écueils sur la route de la droiture morale. Bref tout, ce qui pouvait être agréable, futile était écarté. Et des choses futilement agréables, il y en a, pensait Alphonse, mais bon. Ce qu’elle faisait du reste de sa vie bien occupé par le travail est un mystère. Les jours de Claude étaient marqués par une rigueur plutôt monastique. Sa demeure, était bien sûr à son image, austère et dépouillée, et reflétait ainsi son engagement envers une vie de renoncement. Elle se levait avec le soleil, priait un peu aussi, mais toujours avec ferveur, puis se consacrait à des actes charitables dans la communauté. Les sourires qu’elle recevait en retour semblaient être sa seule récompense.
Cependant, au fil des ans, la vie de Claude devint un tableau monochrome, dépourvu des teintes vives et des éclats de bonheur. Ses voisins, bien qu’admirant sa moralité inébranlable, ressentaient une tristesse voilée en la regardant passer, car ils voyaient une femme qui sacrifiait la plénitude de l’existence au nom d’une austérité inflexible.
Alphonse avait construit progressivement en recoupant divers éléments son idée sur ce qui avait ainsi façonné cette personnalité. Il avait toujours pensé d’ailleurs que les multiples facteurs dans lesquels l’enfant et l’adolescent évoluaient étaient des marqueurs essentiels dans la construction de la personnalité. Ainsi les rendez-vous ratés, les rencontres avec les belles personnes, les regards soutenus d’encouragements étaient les éléments majeurs de la construction de la personnalité, au moins à égalité avec le côté génétique voire souvent beaucoup plus. Car lui n’avait jamais pensé qu’on naissait timide ou colérique, mais que cela s’organisait par ces différents contextes.
Pour ce qui concernait Claude, Alphonse pensait, que petite elle avait été la préférée de son père, mais celui-ci était un drôle d’homme vraisemblablement dépressif dont on percevait ces caractéristiques entre autres par la rigidité qui se dégageait de lui, et son besoin de tout contrôler. La petite Claude avait certainement dû se construire dans cette idée qu’elle voulait que l’on ait d’elle, quelqu’un de droit de sérieux, une personne sûre et de confiance.
Alphonse sait qu’à l’adolescence elle avait dû avoir un flirt avec un étrange garçon qui travaillait dans les marchés et les foires, un forain, un gitan même comme on l’appelait alors que non. Elle avait dû désirer intensément ce garçon brun comme la braise ! Alphonse pensait même qu’il avait dû se passer des choses… Mais cela ne pouvait pas se faire d’autant plus, que du jour au lendemain le bel Antonio disparu sans laisser quoi que ce soit.
Alphonse est persuadé que s’est construit en Claude un énorme brouillard de confusion dans lequel son désir amoureux et physique se confondait avec une terrible culpabilité. Culpabilité d’autant plus forte que son inconscient avait construit en elle la petite fille modèle exemplaire pour son père. Ainsi, le renoncement au plaisir était un travail de punition et une forme de réparation, à ce qu’elle avait imaginé qu’elle aurait dû être.
D’ailleurs, Alphonse en a connu des multitudes de personnalités se punissant ou opérant des choix étranges relevant à peu près des mêmes causes. Alphonse a toujours compris comment le discours semblait cohérent, mais en réalité justifiait souvent ce qui relevait d’une pathologie. Le timide expliquant qu’il était humaniste et préférait mettre en avant les autres plus que lui, alors qu’en réalité, il est incapable de tenir sa place.
Toujours est-il que la dégénérescence de la vie de Claude approcha, mais elle demeura résolue à ses principes. Dans ses derniers instants, alors que son regard scrutait les murs nus de sa chambre, elle se rendit compte du prix qu’elle avait payé pour une vie de privations. La tristesse voilà son regard, regrettant les rires non éclatés, les amours non vécues, et les plaisirs non savourés.
Claude s’éteignit paisiblement, entourée de la pureté austère qui avait défini sa vie. Cependant, dans le silence de la chambre vide, résonnaient les échos de la vie non vécue, de la mélodie étouffée des rires absents. Les habitants de Saint Fulgeaire se rappelèrent Claude comme de la femme qui avait renoncé à une vie pleine de toutes les nuances de bonheur et de tristesse, d’amour et de perte, et cela est resté pour une incompréhension totale.
Rue des oiseaux pales.
Il est seize heures constata Alphonse observant l’aiguille de l’horloge sur le fronton de la mairie. Dans les rues chaleureuses de Saint Fulgeaire, l’excitation de la veille de Noël continue à se répandre comme une douce mélodie dans l’air frais. Les rues pavées, bordées de maisons aux façades pittoresques, brillent du feu des guirlandes scintillantes et des décorations festives.
Les lumières des réverbères sont exceptionnellement allumées pour ajouter à l’esprit festif dû à cette journée si particulière de Noël, ceci depuis 11h, ils projettent des reflets dorés sur les trottoirs, créant une ambiance magique. Des lanternes décoratives se balancent doucement au gré du vent, répandant une lueur douce qui invite les passants à flâner dans ces rues animées. Les habitants de Saint Fulgeaire continuaient à s’affaiter joyeusement dans les derniers préparatifs de Noël. Alphonse les connaît pratiquement tous de près ou de loin, c’est la raison pour laquelle il aime venir ici s’imprégner de ces odeurs et ambiances, lui qui vit dans la capitale qu’il adore, il ne peut imaginer sa vie sans venir ici à la source de ce qui l’a construit.
Ses doigts maintenant réchauffés par un bref séjour dans la poche reprennent la lecture des pages invitant les yeux et la mémoire à les suivre. Madeleine, ah oui se souvint Alphonse, c’est une très agréable personne que Madeleine, et elle aussi quelle belle réussite, là encore alors que rien ne semblait se destiner ainsi.
Tout jeune Alphonse aimait cela et s’y appliquait du mieux qu’il savait faire, mais il n’y avait rien à faire les dessins de Madeleine était toujours plus beaux que les siens à tel point que cela lui ôta sans qu’il s’en rende compte de suite le goût des activités artistiques, il aime les voir les ressenti les partager, mais ce n’est véritablement pas son officine à lui, alors que pour Madeleine dés petite c’était déjà une passion.
Un professeur peut-il nous faire devenir célèbre ?
Depuis son plus jeune âge, Madeleine avait été captivée par la beauté du monde qui l’entourait. Son regard curieux et son âme artistique cherchaient constamment à exprimer l’inexprimable.
Madeleine, avait comme Guillaume d’ailleurs un cœur rempli de rêves. Elle avait le talent de voir l’extraordinaire dans l’ordinaire, et chaque recoin du village était une toile potentielle pour son imagination débordante.
Alphonse dîne avec elle assez régulièrement à Paris, car maintenant qu’elle est devenue une artiste renommée, elle ne vient que très rarement à Saint Fulgeaire, et c’est avec délices que ces deux-là lors de leurs soirées « aux deux magots » aiment à narrer l’odeur gardée des prairies et des champs de jadis.
Rien ne prédestinait Madeleine à devenir une artiste renommée, mais le destin tissait des fils invisibles autour de son cœur créatif. Elle avait grandi parmi les champs et les collines, où les champs de blé se balançaient doucement au gré du vent. Ses parents possédaient des terres et avaient développé de l’élevage et des plantations de tabac, très en avance pour l’époque, et ces activités leur ramenait des revenus suffisamment confortables.
Son esprit, à elle Madeleine voguait dans ces horizons plus vastes, cherchant toujours quelque chose d’insaisissable, elle voyait du beau, et s’il n’existait pas elle l’inventait, elle le créait et Alphonse se souvient allongé sous le grand chêne partir dans les paysages qu’elle lui décrivait et que lui n’arrivait même pas à imaginer. Elle n’était pas née dans une famille d’artistes, mais son cœur portait en lui le rêve de créer.
Elle suivait une scolarité faite d’études classiques au lycée de la ville, et ce fut comme souvent le hasard des rencontres qui créa l’espace. En l’occurrence, ce fut monsieur Henry, professeur d’arts plastiques une espèce de « géo-trouve-tout » qui s’intéressait à tout, tellement que l’on en arrivait à se demander de quoi, de quelle matière il était prof.
Il était tellement spécial, farfelu, un peu doux dingue que les élèves avaient un peu de mal à l’apprécier, mais en cette année de première, c’est là où le déclic s’opéra, et de façon brutale, voire violente même.
Monsieur Henry avait proposé à ses élèves un travail qui se déroulait sur l’ensemble du second trimestre qui consistait à réaliser une sorte de portfolio représentant grosso modo leur fibre artistique, vaste sujet s’il en est. Chacun se démenait avec plus ou moins d’intérêt. Tout comme Madeleine qui avait également de la peine avec cet enseignant aussi étrange. Elle y mit tout son cœur comme nous pouvons l’imaginer, et comme à son habitude.
Le jour de la remise des prix, si l’on peut dire ainsi, la déconvenue fut terrible pour Madeleine, son travail fut jugé trop timorée, trop conventionnel, voire presque mièvre. Elle eut de la peine à retenir ses larmes et bouda le cours de cet étrange bonhomme tant qu’elle le pu, ce stratagème dura même plusieurs semaines. Elle en échangeait avec Alphonse et Georges lorsqu’ils se revoyaient à l’occasion des vacances de Pâques toujours sous le grand chêne d’ailleurs. Ce fut Georges qui lui suggéra de retourner, et comme on a la tentation de la faire à cet âge de lui vider son sac, de lui dire tout ce qu’elle avait sur le cœur.
Elle laissa passer une semaine, mais c’est ce qu’elle fit, et Monsieur Henry fit mine de ne pas s’apercevoir de sa présence dans un premier temps, puis à la fin du cours lui demanda de venir en lui demandant simplement : Alors ?
Cette question, portée simplement par ce « alors » stupéfia Madeleine qui ne sût quoi dire, ce fut le professeur qui construisit l’échange. « J’imagine que tu m’en veux beaucoup, ton travail était bon mais ce n’est pas cela que j’attends de toi, d’une artiste que tu es, c’est autre chose que l’on est en droit d’exiger. Tu t’es appliquée et tu maîtrises tes techniques, mais libère toi, et un discours enflammé suivi dans lequel Madeleine se glissa avec plaisir.
Ainsi, monsieur Henry, bienveillant et sage, avait très rapidement découvert le potentiel artistique caché en Madeleine. Nous imaginons la suite, une complicité s’établit entre eux et Monsieur Henry voyait en Madeleine comme un alter ego et l’artiste que lui n’a jamais pu réellement être, obligé de devenir enseignant pour subvenir au besoin de la jeune famille qu’il créait avec son épouse. Il projeta naturellement en Madeleine tout son désir d’une réussite artistique, l’initiant évidemment aux mystères de la peinture. Madeleine, était avide d’apprendre. Mieux une vocation était née elle réunifiait ainsi la petite fille qui courait les bois avides de ses beautés et bonheurs. Une forme de transcendance s’est organisée sans qu’elle ne s’en rende compte.
Les parents de Madeleine, nous l’avons vu avez les moyens de subvenir à ses études aussi elle entama après ses deux baccalauréats des études aux beaux-arts de la ville, puis intégra ceux de Paris. La suite nous l’imaginons aisément. Elle était de nature plutôt réservée et sage indépendamment de ses promenades bucoliques, mais l’ambiance de cet environnement parisien florissant de vrais ou faux talents fit qu’elle ne pensa pas à construire une réelle vie sentimentale, elle avait bien sûr des amoureux et même plus, mais elle estimait que cela la freinerait dans sa création.
Madeleine croisa le chemin d’une sculptrice émérite, Madame Charlotte. Madame Charlotte sculptait des histoires dans la pierre, et Madeleine, intriguée par cette nouvelle forme d’expression artistique, se plongea naturellement dans l’art de la sculpture. Les mains de Madeleine, autrefois novices, commencèrent à caresser la glaise avec une grâce inattendue. Ses sculptures, sorties tout droit de son imaginaire fertile, prirent vie sous ses doigts habiles.
Saint Fulgeaire autrefois tranquille, devint le théâtre silencieux de l’émergence d’une artiste. Ses œuvres maintenant connues et cotées ont depuis longtemps attiré l’attention au-delà des collines verdoyantes. Les salons d’art et les galeries du monde entier ouvrirent leurs portes à Madeleine. Les critiques louèrent la beauté brute de ses peintures et la profondeur émotionnelle de ses sculptures.
Madeleine, qui avait commencé son parcours sans idée préconçue de son destin artistique, était devenue une artiste reconnue. Cependant, au cœur de sa renommée, Madeleine n’oublia jamais les complicités d’avec Monsieur Henry avec lequel elle correspondait toujours un peu, il collectionnait d’ailleurs tous les articles la concernant.
Et ainsi, l’histoire de Madeleine devint comme une légende, pour les habitants de Saint Fulgeaire. C’est d’ailleurs émouvant, pense Alphonse, combien la population fière de son petit prodige, est extrêmement respectueuse à l’égard de Madeleine, n’osant la déranger lors de ses rares séjours, et la protégeant même comme d’un écrin quelle mérite aux yeux de tous les Fulgerains.
La rue des oiseaux pâles.
Mais il fait nuit, constat Alphonse qui se délectait des notes qu’il vient de relire à l’instant sur cette camarade, qu’il revoie bien sûr, mais dont il avait presque oublié la destinée à force de la connaître si bien. L’odeur enivrante du vin chaud et des châtaignes rôties flotte avec encore plus de prégnance dans l’air, attirant toujours les curieux et les gourmands, mais surtout Alphonse tout comme la musique de Noël qui résonne doucement à travers les rues, émanant des enceintes que l’assemblée des commerçants a décidé d’installer cette année. Des chants joyeux emplissent l’air, créant une toile sonore qui enveloppe le quartier d’une ambiance réconfortante.
Tout cela ramène gaillardement Alphonse à sa belle réalité et surtout d’aller avec gourmandise dévorer un beignet aux pommes avec un autre verre de vin à la cannelle, il décida de se diriger vers …
L’auberge de Germaine.
La neige qui avait cessé pendant quelques heures a repris doucement son activité, les flocons de neige ressemblaient maintenant à des plumes d’argent enchantées, créant une scène d’hiver digne d’un conte de fées, du moins c’est ce qu’Alphonse aimait à penser. En se rendant à l’auberge de Germaine haut-lieu de papotages Fulgerains, Alphonse prit les chemins de traverse par ces rues si pittoresque de cette grosse bourgade, remplie de maison pittoresques, bourgeoises, tordues.
Il passe intentionnellement rue de l’Ombrepierre toujours inspiré par la peur à retrouver, comme les petits pioupious qui aiment à s’effrayer en s’y rendant. Les sensations sont toujours là, bien présentes, portées par cette ambiance très particulière qu’ici le réel et l’imaginaire semblent se jouer en se confondant, rendant ainsi toutes les imaginations possibles. Cela est dû aux façades des maisons datant du moyen-âge, aux carreaux épais comme des tessons de bouteille qui déforment ainsi toute vision.
Alphonse passe également par la rue de l’Orne devant la fameuse mercerie où la magie avait opéré, d’ailleurs un réflexe vite fait porté à la poche gauche de son pantalon le rassure, elle est bien présente au chaud nichée dans sa petite boite.
Germaine est toujours là, un peu plus âgée certes, mais c’est bien elle, affable, naturellement gentille et agréable malgré son obligation de commerçante. Ils se firent la bise qui au fil du temps était le signe de la reconnaissance des vieux habitués, de ceux qui savent, de ceux qui sont initiés à partager l’intime de Saint Fulgeaire.
Comme il le souhaitait, car ce n’était pas par hasard qu’il s’est rendu à l’auberge de Germaine, de suite il reconnut porté par la grosse voix de Marcel une discussion animée dans laquelle il sentait bien que Léon peinait à démontrer quelques vicissitudes concernant sur l’entretien de la voirie de la commune, et les deux compères plus animés que de coutumes se figèrent quand ils aperçurent Alphonse, cet ami de toujours comme il l’appelaient « Alphonse notre ami de toujours », car contrairement à Alphonse, eux n’avaient jamais quitté la commune.
Les retrouvailles étaient chaleureuses comme il se devait, le contraire n’aurait pas pu exister, et Alphonse partagea cette fois-ci un mélange dont Germaine a la spécialité et dont personne ne connaît la formule exacte. Un breuvage qu’elle sert dans des bocks d’une autre époque dans lequel nous retrouvons assurément du thé, des épices difficiles à identifier et une sorte de tafia quasiment impossible à boire seul.
Alphonse y passera une heure mais salua à fortes embrassades tous ses amis, un peu déçu de ne pas y avoir trouvé Georges qui devait pourtant malgré cette météo peu propice aux voyages être présent ce soir de réveillon, car dans une rapide lettre ils avaient convenu de diner ensemble lors de ces quelques jours de fête.
Dix-huit heures, « j’aurai le temps de passer faire un brin de toilette à la maison », aussi Alphonse continua son errance volontaire dans les rues. Il avait conservé cette demeure, qui était celle de ses grands-parents, puis de ses parents, et à part la difficulté à s’y chauffer par ces longues nuits d’hiver, il y retrouvait paradoxalement la chaleur des temps d’avant précieux.
Il flâne une dernière fois pour profiter de cette soirée spéciale, les rues de la commune de Saint Fulgeaire vibrant toujours d’une énergie particulière, faite d’une fusion de l’effervescence festive et de la quiétude hivernale. Les lumières, les décorations et l’atmosphère empreinte de bienveillance faisaient de cette jolie bourgade enneigée le lieu idéal pour vivre la magie de Noël.
Rue des oiseaux pâles.
Avant de se préparer pour aller dîner chez les Montorgeux, une dernière fois ce jour Alphonse fait un détour par le cours Theodore profitant encore une fois des odeurs de cannelle, de miel et de la friture des beignets. Les voix commencent à se faire plus discrètes, le piaillement des pioupious s’est éteint par la magie de l’heure, ils sont tous rentrés peaufiner leurs chaussons de Noël à poser devant le sapin, reste encore quelques badauds affairés toujours à la recherche du cadeau oublié, ou de la bûche à aller chercher au dernier moment chez le pâtissier Milsan.
Il n’a pas froid, pas encore du moins, mais il ne faudrait pas y rester trop longtemps tout de même. Assis quelques instants, sur son banc de la rue des oiseaux pâles, pour reprendre un peu de souffle, bien qu’Alphonse se considère comme un jeune homme, retentirent ces paroles étranges : « Sola voluntas hominis.. » apportées par une voix douce et grave qu’Alphonse reconnaîtrait entre mille autres, celle de Georges.
Ces paroles le sortirent de cette propension naturelle à la rêverie, l’effusion sincère passée, les deux compères ayant exprimé leurs satisfactions, à savoir partager ce fameux dîner dans les jours suivants, papotent tranquillement de leurs soirées réciproques. Cependant cette phrase prononcée, cette formule étrange, revient vite, suivie par une interrogation, mais tu te souviens de cela ? Pourquoi aujourd’hui ? La réponse fut aussi limpide que simple, cela fera soixante années aujourd’hui que tu es en possession de ce talisman.
Rappelons-nous de cette étrange boite découverte un matin de Noël, il y a effectivement si longtemps dont la provenance et ce non moins étrange personnage furtif autant qu’éphémère.
Dans cette petite boite, ce talisman une sorte de pièce d’or, très difficile à dater avec une inscription latine mêlée a une croix d’Osiris et au symbole de l’Oméga.
Une fois convenu de se retrouver le surlendemain chez Germaine, Georges fila prestement à son rendez-vous pour éviter d’être en retard ce qu’il détestait par-dessus tout, laissant ainsi Alphonse seul sur son banc encore quelques minutes.
Se mélangeaient à cet instant, la lecture du fabuleux carnet avec les histoires réelles qu’il portait, avec ce talisman pour le moins étrange surtout avec les manifestations qu’il ne nous a toujours pas livrées.
Quant à Pierre, Jeanne, Guillaume, Claude et Madeleine, que d’étranges parcours, aussi différents les uns que les autres. Alphonse a depuis des lustres la conviction que les parcours s’organisent ainsi au gré des rencontres, des belles rencontres ou des rendez-vous ratés. Que l’homme lucide connaissant la cause de ce qui l’affecte, peut ainsi mieux déterminer ses choix. Pour cela, encore faut-il être en capacité d’exercer cette pleine lucidité appliquée à soi-même.
« Quel art passionnant que celui de vivre » nous livrera Alphonse comme conclusion, tout en regardant cette mystérieuse pièce dont assurément, il nous livrera quelques-uns de ses secrets… Un autre jour.
« sola voluntas hominis patefaciet processum temporis transcendentem »
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