Alphonse était plutôt maussade cet après-midi, et en plus la météo pluvieuse ne le portait pas à la douce rêverie. Maussade était bien le mot car il n’aurait pas dû écouter ce fichu vendeur de chaussures, qui avait réussi à lui vendre une paire qui le faisait horriblement souffrir. Et pourtant il le savait bien, mais diable pourquoi l’avoir écouté pestait-il. Lui si prudent à l’ordinaire, prenant le temps de réfléchir et de peser suffisamment le pour et le contre, n’en finissait pas de pester contre ce vendeur à peine affable d’ailleurs, mais surtout contre lui-même.
Il en avait bien une idée d’ailleurs ayant repéré ce personnage du vendeur, ce personnage que jouait ce marchand, dans un mix de suffisance et d’un mal être, mal dissimilé et fort désagréable. Et c’est singulier se dit Alphonse « comment je me suis fait avoir comme un bleu ». La première raison qui satisfaisait son ego, c’est qu’il s’agissait d’un moyen rapide de se débarrasser de lui, et de toutes façons il en avait besoin de ces chaussures, de plus elles lui plaisaient, et effectivement il sentait bien que leur cuir commençait à s’assouplir.
Mais en réfléchissant avec plus de sincérité, il s’est rendu compte, cependant un peu trop tard puisque l’achat était fait, juste en sortant, que ce vendeur avait un vague similitude avec son grand cousin. Ce dernier avait la particularité de chambrer tout le monde, et cela tout le temps. Exercice qui insupportait Alphonse plus que tout, tout d’abord parce qu’il n’y voyait que l’expression de la propre insuffisance de celui qui l’exerçait, et que lui-même s’était retrouvé empêtré assez souvent dans ces jeux idiots, ridicules et inconvenants.
Ainsi Alphonse a pu repérer ce malaise s’emparer de lui sans en prendre réellement conscience, et en ne pouvant réellement maîtriser cette remontée d’adrénaline et d’émotions. Plus vite il serait débarrassé de lui, et plus vite cela sera fini. C’est ce qui se passa … Une pairie de chaussures plus loin dans l’escarcelle !
Cette petite aventure qui le mettait de mauvais poil rien que de l’évoquer, le faisait malgré tout sourire, mais il ne voulait se l’avouer et se dissimulait cette petite joie que d’avoir pu ainsi libérer et ouvrir sa petite boite à penser. Car sa boite à penser, à rêveries était vraisemblablement ce qu’il y avait de plus précieux pour lui.
Car des situations comme celle-ci un peu bêtasses, comme on nomme ici ces désagréments, il a connu, notamment par des personnes qui ont été diablement impactées par cela.
Sans qu’il n’y ait d’ailleurs de lien significatif, il repense à Sophie qui a vécu un très gros conflit familial provoqué par un rien. C’est vraisemblablement ici que se fait le lien entre, pense Alphonse, car des rendez-vous ratés, des situations aux anachronismes singuliers, il y en a régulièrement, souvent même, l’anecdote des chaussures en témoigne. Mais là c’est vraiment autre chose, ils se sont véritablement ratés, pense Alphonse. Alphonse connaît bien Sophie, ils ont assez longtemps après les bancs de la communale entretenu une correspondance, tout ce qu’il y a de plus sérieux, concernant leurs études et passe-temps communs, en particulier l’astronomie qu’ils avaient découvert ensemble lors de cours et sorties avec M Baichu.
L’histoire à l’école, avec un peu de Sophie, dedans …
Une petite fille agréable, souriante et parfois en retrait. A cette époque les garçons et les filles étaient séparés à l’école, il y avait une école de filles et une pour les garçons, souvent un bâtiment l’un en face de l’autre, séparés par une rue ou une petite place, ce qui participait à l’originalité architecturale des communes. Par chance l’enseignant, M Baichu était prodigue et un peu farfelu, du moins c’est ainsi qu’il était perçu. Un homme grand et mince avec une petite calvitie naissante, une moustache qui aurait aimé être fournie, ce qui lui donnait un petit visage cocasse, de plus, il en faisait des sorties M Baichu, avec des phrases à l’emporte-pièce, comme sa préférée et que nous connaissons : « l’agriculture manque de bras !».
Mais il était surtout plus maladroit que méchant, et comme tous les timides il masquait cette faiblesse par des marques d’autorité parfois étranges et décalées. En plus cela marchait car au-delà d’un charisme aussi réellement présent cet étrange mélange faisait qu’il était apprécié et reconnu pour sa qualité d’enseignant y compris par ses propres élèves qui pour rien au monde n’en aurait changé.
Mais il était également indestructible comme « Fifi brin d’acier » héroïne de l’époque. Sa Boyard maïs vissée en coin de bouche, la lèvre inférieure comme collée dessus, et qui imprimait à la cigarette les gestes de mots que sa bouche n’avait pas à prononcer, devinés d’avance, tout un art !
Avait-il eu le choix de devenir enseignant, le maître d’école, comme l’appelaient les parents, ce noble métier, pratiquement toujours associé avec l’idée d’une vocation attenante. Cela d’ailleurs Alphonse n’a jamais bien compris d’où cela venait, « la soi-disant vocation », car beaucoup devenaient enseignants, surtout pour le plus grand plaisir de leurs parents, étant donné que c’était dans ce milieu plutôt modeste d’une grosse bourgade, un privilège de « rentrer » à l’école normale, pour ensuite devenir instituteur. Comme un privilège distribué et dont certains élus auraient mérités et profiter.
Alphonse se demandait si c’étaient les cours à l’école normale qui formataient ainsi les vocations, ou si elles apparaissaient par le biais des rencontres, mais cela revenait du pareil au même pensait il en même temps.
Il était assurément prodigue M Baichu, d’autant qu’il ne semblait pas pressé de faire une rencontre sentimentale, ce qui lui laissait beaucoup de temps libre autrement, et pour tout le reste. Pourtant au-delà du fait que c’était un assez bel homme, et un beau parti comme le dit Germaine, qui tenait le café du village, faire une rencontre pour se marier, cela ne semblait pas réellement l’intéresser plus que cela, à moins que… Il vivait dans son logement de fonction au-dessus de l’école, logé dans les appartements réservés au directeur qu’il était, deux autres logements étaient destinés aux remplaçants de passage qui n’auront pas trouvé à se loger ailleurs ou autrement, sachant que pour se loger ici, il n’y avait rien !
Et le soir quand Alphonse revenait du chemin du grand chêne, où il se hâtait de rentrer après avoir longuement joué avec Georges, il le voyait s’affairer dans ce qui devait être une salle à manger, un peu comme un vieux savant. Et du haut de ses dix années Alphonse estimait son enseignant du même âge que son oncle qui portait fièrement ses trente-cinq ans, bref tout cela qui faisait de M Baichu un bel individu.
Ainsi donc M Baichu était prodigue, principalement en faisant partager à ses élèves sa propre curiosité naturelle. Et même les plus rebelles, les têtes de pioches, comme il les appelait, se laissaient séduire par ce géo trouve tout, et trouvaient même du plaisir à venir sur les bancs de l’école. Mais cela ils ne l’avoueraient jamais, car ce serait comme un aveu de faiblesse, alors comme d’un accord tacite, personne n’en parlait, mais se retrouver était plutôt sympathique pour tous, y compris les têtes de pioches, mais cela, « croix de bois, croix de fer, crachat vent debout ! », personne ne le dira, trop de honte, trop de déshonneur !
A ce propos Alphonse a toujours pensé que l’éducation, ou plutôt l’enseignement, c’était comme l’amour. S’il y a du liant comme celui du respect ou de l’affection réciproque, se développera ce concept de mitoyenneté qui augmentera la qualité de la relation en la gratifiant d’une dimension supplémentaire, qui est celle de complicité à vivre par le partage ensembles.
Ce partage à être ensembles, à découvrir à s’étonner, tout en restant chacun a sa place, M Baichu avait su l’instaurer. Tout comme mes parents, pense également par superposition Alphonse, car au-delà des respects qu’avait cette notion de sincérité dans la partage, cela a permis, lorsqu’il était nécessaire de réaffirmer des principes. Car Alphonse qui est d’une nature un peu revêche se souvient avoir pu considérer son père ou sa mère, comme des empêcheurs de tourner en rond. Mais dans cet espace de mitoyenneté, et permis par cette petite ludique, cela lui faisait surtout dans ces espaces, les considérer comme des complices qui ainsi pouvaient lui donner leurs avis.
Et cela non comme Guy, un des derniers de la classe, pas réellement le cancre, toutefois il s’y appliquait sérieusement ! Guy craignait assurément l’autorité de ses parents, et de la sorte, faisait penser à certains, qu’il les respectait, mais absolument pas ! Il les redoutait tout simplement. Lui, Guy, de ses parents il s’en moquait sincèrement, il en avait peur certes, mais les considérant presque comme des ennemis de classe, et toute fonction éducative leur était ainsi enlevée. Alphonse avait assez régulièrement assisté à des scènes de remontrances accompagnées de roustées, qui n’avaient pas d’autres effets que de faire pleurer son camarade, qui pliait, mais ne cédait jamais. Il faisait d’ailleurs parti des têtes de pioches de la classe. Et cette forme d’éducation faite de violence et de bêtise avait fait de Guy comme un fauve prêt à bondir, au moindre faux pas de son interlocuteur. Alors que c’était plutôt un être agréable et débonnaire de nature, on pouvait sentir que cette violence subie avait organisé une énorme violence à l’intérieur de lui prête à exploser.
De même Alphonse absorbé dans cette réflexion, repensait à Christophe, dont l’attitude des parents exprimait le strict opposé de ceux de Guy. Il semblait bénéficier et profiter d’une douceur, notamment de la part de son père qui avait tendance à ne voir en lui que des qualités, et ne voulant que son cher fiston ne se fatigue ou ne se blesse, faisait pratiquement tout à sa place. Très tôt Alphonse s’était demandé si cela n’était pas dû au fait que les parents de Christophe ne l’avaient eu tardivement, le père devait avoir presque cinquante ans. Alphonse a toujours pensé qu’il y avait un lien avec cette éducation tout aussi mauvaise, que celle qu’a subie Guy, car Christophe un bon gros bébé, puis un enfant toujours aussi mou, est devenu un adulte fragile très immature. Un personnalité sous influence ne supportant aucune frustration. Alphonse savait qu’il croupissait dans un entrepôt, comme homme à tout faire, mais surtout vieux célibataire, comme l’idée d’un ratage. Mais ratage de quoi, d’ailleurs qu’est-ce qu’une vie réussie ? Alphonse qui put avec le temps définir mieux cela, nous le fera vraisemblablement partager au gré de ses rêveries contemplatives.
Bien sûr qu’il ne fallait pas se hâter à faire ainsi des raccourcis, mais Alphonse qui était un « vieux de la vieille » avait appris depuis longtemps à utiliser et à se fier à ce système de repérages d’associations entre ses observations, avec les liens possibles entre les causes et les effets. Il savait que la plupart de ses pensées issues de ses propres observations, faisait sens.
Il en avait déduit l’importante fonctionnalité de l’idée « du juste milieu » à utiliser pour discerner, une posture indispensable à trouver. Ce concept qu’il avait découvert durant ses cours de philosophie, notamment chez Aristote dans l’Éthique à Nicomaque (livre II, chapitre IV) : « Il faut dire que toute vertu, selon la qualité dont elle est la perfection, est ce qui produit cette perfection et fournit le mieux le résultat attendu. Cette pratique de la vertu tend vers le juste milieu, non pas au sens « d’arrangement à l’amiable entre deux excès », mais comme l’équilibre recherché pour une fin bonne avec de justes moyens ».
Cette philosophie très pratique et mécaniste est devenue sienne au gré du temps, également le concept de « bon sens » dont il nous reparlera, mâtiné dans cette recherche systématique du juste milieu. De plus Alphonse avait depuis longtemps intégré aussi la notion de légitimité de compétence.
Le compétence semblerait naturellement liée à la légitimité mais qu’en est-il de l’autorité ?
Il est légitime car il est compétent, mais comment dire pour l’autorité ?
L’autorité « doit être reconnue dans sa compétence » a toujours pensé Alphonse. Il est nécessaire pour être une représentation d’une forme d’autorité d’être reconnu dans et par sa compétence ce qu’il s’est d’ailleurs évertué à appliquer pour lui et les autres, principalement au long de sa carrière.
Ainsi au-delà de la légitimité de compétences, il doit y avoir un savoir-faire, une forme d’art que cette forme de pédagogie propose. D’ailleurs il s’agit d’une figure de manipulation positive qui consisterait à dire « tu n’as pas envie de découvrir telle activité, tel mode de réflexion, je le comprends, mais je vais trouver tous les justes moyens pour que tu y ailles » démarche qui permettra d’en distiller ensuite les bienfaits.
Cet art semble subtil, mais s’appuie sur du simple bons sens, dans cette forme de « juste milieu », mais il se rend compte Alphonse en plein de ces pensées que les générations suivantes en sont souvent dépourvues.
Toujours est-il que c’est dans cet environnement éducatif et pédagogique qui est celui de l’école, qu’Alphonse a découvert Sophie. Non pas que les filles étaient un soi un environnement étranger pour Alphonse, mais des inconnues, celles du bâtiment d’en face. Mais la prodigalité de M Baichu débordant de projets a permis les choses autrement. Car foisonnant de multiples idées devenant des activités, filles et garçons de toute l’école y accouraient, ce qui permet à toute cette petite communauté de pioupious de bien se connaître.
Ainsi sans le savoir, ou tout en le sachant, M Baichu a contribué à une harmonie collective, faisant en sorte que tous ces petits pioupious partagent cette communauté des activités, et participent ainsi à l’harmonie et concorde dans la commune, et surtout la commune à venir, que ceux-ci vont construire. Du vrai socio-culturel avant-gardiste, avant que cette pratique ne soit dégradé par d’autres !
L’histoire de Sophie, mais sans l’école dedans.
Quelque chose avait été dit, qui fait que plus rien n’était rattrapable, un marqueur temporel comme cela arrive souvent, et surtout sottement. Mais avant retournons chez Sophie ce jeudi, le jour sans école, Sophie s’en souvient, car dès le matin elle était toute en ébullition de recevoir sa Grand-mère et sa grande tante. Elle avait rangée du mieux qu’elle avait pu la salle de séjour et la cuisine pour ce jour plutôt festif qui rompait avec la routine. Elle avait passé sa matinée à préparer quelques sortes de petits fours de sa recette préférée, celle qu’elle tenait de Dominique, sa copine qui elle-même la tenait d’un oncle Cap-hornier, et ramené des lointaines Antilles : des petits pains fourrés à la noix de coco et à la banane, avec en plus le petit secret. Au résultat plutôt une fière allure que cela avait, un peu comme ces rochers que l’on trouve sur les beaux étalages en pâtisserie, et c’est dire qu’elle n’en était pas peu fière Sophie. Sophie d’ailleurs très affairée dans ses préparations, ne s’en était pas véritablement rendu compte, mais sa mère Françoise ce jour-là, n’était pas de bon poil, savoir pour qui et quoi, est une autre histoire, même elle, ne devait pas forcément identifier le pourquoi elle était aussi mal lunée.
Des deux femmes pas si âgées que cela, émanait une forme d’autorité de prestance, car Grand-mère et Grand-tante Berny diminutif de Bernice, posaient bien toutes les deux, chacune dans un style de toilettes apprêtées et qui leur allait bien. On sentait que non seulement elles y prêtaient attention, mais également prenaient le temps nécessaire pour cultiver cela auprès des vitrines des magasins que la grande ville proposait, à la différence de la commune qui en était plus modestement pourvue.
Curieusement, mais peut-être pas autant curieux que cela connaissant son profil, la tantine Berny ne s’était jamais mariée. Même pas sûr qu’elle ait connu de garçon, mais ce qui par contre était assuré, c’est qu’elle avait été bibliothécaire au musée de Saint-Halgure. Après des études de lettres et un concours réussi, sa vie s’est déroulée avec passion et comme un sacerdoce dans cet établissement prestigieux, comme les petites villes de province savent les construire pour la plus grande fierté de tous.
La présence de Berny était appréciée également de tous, pour reprendre cette formule si écornée, mais spécialement de Sophie, justement par sa capacité à déclencher de douces rêveries lorsque simplement elle évoquait la vie au musée, celle du conservateur, des collections qui s’organisaient, et tout cela sous le regard de Grand-mère qui acquiesçait en ponctuant tout l’intérêt des paroles redondant ainsi en magnificence.
Grand-mère avait ses petites habitudes dans la maison de Sophie, elle prenait ses aises comme le disait les parents de Sophie, sans d’ailleurs s’en offusquer, mais comment pouvait-il en être autrement puisqu’avant que les parents de Sophie ne la rachète, c’était la maison de grand-mère et grand père, et lorsque celui-ci décéda grand-mère est partie s’installer chez sa sœur, Bernice la grand tante
Bref une journée plutôt agréable.
Des paroles d’adulte, des paroles comme on dit, comme cela, que l’on jette, qui partent à la volée, et que l’on regrette aussitôt. Françoise dans son rôle de maman, et cela Sophie en convient volontiers, mais trop tard, a repris rouspété sa fille, vraisemblablement sur un ton trop autoritaire. Vraisemblablement que Françoise la maman n’était pas dans un bon jour. Ces jours où il y a de trop, trop de tout, et que les mots utilisés n’ont pas été les bons. Toujours est-il que cela est monté très haut, lorsque Françoise lâcha à sa fille :
« C’est un vrai dépotoir ici, débarrasses, dégages moi vite tes affaires, c’est un vrai dépotoir dès que tu fais quelque chose, c’est une véritable porcherie ! »
Ces paroles pourtant presque banales, et que l’on pourrait entendre un peu partout autour de nous, frappèrent brutalement Sophie en pleine face ! Elle qui avait passé sa matinée à aider maman, à pouponner pour rendre pimpante et joyeuse la maison, là elle est soudainement, cruellement traversée par un éclair, comme un courant électrique au voltage si élevé qu’il la glaça, et en même temps la fit rougir, à en suffoquer. Sophie qui d’habitude aurait pris avec insouciance cela, et aurait même pu dérider sa mère, car elle savait le faire, va savoir pourquoi, ce jour-là a pris la mouche, et répliqua par des paroles d’enfant, des paroles comme on dit comme cela, que l’on, jette, qui partent à la volée, et que l’on regrette aussitôt :
« Tu es une méchante, tu es égoïste, tu me parles mal, mais tu parles mal à tout le monde, tu fais la gentille et la fière devant Grand-Mère mais tu n’aimes personne, même pas elle !
Vraisemblablement galvanisée par un public qui pourtant n’attendait pas cela, et ne s’en réjouissait absolument, d’ailleurs Grand-Mère pris de suite la mesure de la catastrophe, et le dira d’ailleurs plus tard à Sophie. Possiblement la seule hypothèse valable que celle-ci, mais savoir quelle mouche a piquée Sophie ce jour, comme celle qui a fait aussi son office dans la bouche de Françoise la mère, qui à l’ordinaire n’utilisait jamais ce langage.
Chez nous on sait que l’on s’aime, mais on ne le dit pas !
On ne dit surtout pas, on ne dit surtout jamais rien, et le peu qui est dit est un marqueur indélébile, ce qui arriva ici. La suite fut simple, et dramatique surtout.
Nous pourrions imaginer que tout se figeât, que le drame arriva, et que ce moment fut théâtralisé, explosé comme une souffle hystérique qui aurait tout balayé, que nenni Françoise piquée au vif par la réponse aussi cinglante qu’imprévisible de sa fille, plutôt même interloquée, complètement abasourdie ne réagit pas. D’ailleurs aurait-elle eu la meilleure réplique possible, assurée et à la hauteur de cette impertinence que sa fille unique Sophie a commis ? Assurément la première, la dernière, la seule impertinence, qu’elle ne pourra plus jamais commettre, mais non bien sûr, assurément que non, elle n’aurait jamais la réplique.
Alors la journée, le reste de cette drôle de journée s’est déroulé normalement. Normalement non bien sûr, bien que Grand-mère avait réussie avec Bernice à faire diversion, mais tout était cassé, brisé, rompu, car ce jour-là à enterré le monde d’avant.
Françoise est partie dans sa tombe avec la haine et la rancœur qui non seulement ne s’était pas dissipé, et qui en plus après avoir longuement marinées, ne s’étaient jamais évacuées, amalgamant ainsi autour tout ce qui pouvait traverser son humeur.
Elle donnait tant que possible le change, Alain son mari, savait, plutôt ne savait pas vraiment, car de cet événement les quatre femmes ne firent pas la publicité, aucune n’en reparlera jamais, si ce n’est Grand-mère sur la fin de sa vie.
Ces deux-là ne se sont jamais réconciliées, faisant presque fit de cet événement le considérant comme non existant, mais le mal était fait, sournois et profond. Alphonse savait cela pour l’avoir compris, même s’il ne l’a pas directement vécu cela.
Il savait combien des situations pouvaient créer ces ruptures, qui en réalité étaient des césures, car malgré les apparences plus rien non seulement n’était plus comme avant, mais devenaient irrécupérables.
Il savait combien les singularités étaient variantes dans ces contextes, il y va de l’ego, de l’orgueil, du silence habituel, cette habituelle ritournelle de paroles jamais dites, il avait vu cela, déjà dès l’école, d’ailleurs vers laquelle ses pas, avec cette fichue chaussure l’amenaient, et enfin il allait rejoindre son banc.
Mais revenons à Sophie qui en avait souvent parlé avec Alphonse son cher ami, mais longtemps après, d’ailleurs cela correspondait à peu près au décès de Françoise sa maman comme une libération possible, car là, ce moment où elle aurait plu lâcher, du haut de ses dix années, Sophie l’avait vu, elle aurait pu dire « maman je suis désolée, tu as raison » mais ce jour-là portée par une espèce de suffisance, Sophie a tenu tête à sa mère, Sophie s’en est immédiatement rendu compte comme si de toute façon cela devait arriver.
Elle se rendait compte dans le déroulement de l’action, que non seulement elle pouvait dire, faire autrement, autre chose, mais ce fut plus fort qu’elle, comme emportée par un élan. Alphonse connaissait cela, il y mettait même ses mots : comme une explosion non contrôlée de toutes les accumulations qui là sans raison sauf ce qu’une introspection bien faite aurait permis d’élucider et d’expurger, cela arrive assez souvent.
Une accumulation d’incompréhension de tristesse, de haine, de colère, tout ceci mélangé et qui avait créé une pile qui n’attendait que cela, prête à déverser sa charge, et Sophie a lâché toutes ces vapeurs accumulées au fond d’elle. Sophie avait eu comme un sentiment de libération, mais également de toute puissance, humiliant sans le vouloir, mais surtout en le sachant sa mère, et cette fraction d’un avant et d’un après inconciliable, ainsi s’est joué leur destin, le sien surtout.
Mais quel leurre que cette libération, lorsque Sophie expliquait cela à Alphonse il ne pouvait s’empêcher de penser que les névroses et certaines pulsions psychotiques fonctionnaient ainsi. Donnant certes l’illusion d’une libération, mais demeurant uniquement bel et bien une illusion.
Et donc ce jour-là, ce jeudi d’octobre, à ce moment précis, à ses 10 ans, le destin de Sophie s’est organisé, car il y a eu une rupture, une ligne de marquage d’un avant perdu, et personne n’a voulu, pu ou su rattraper cela.
Quelle sévérité que cette misère mais l’histoire s’est ficelée ainsi !
Françoise sa mère, Sophie la fille, avaient dit quelque chose sur lequel elles ne pouvaient plus revenir, les deux enfermées dans cet étrange non-dit semblaient s’entêter, mais la marque indélébile ne fut jamais surpassée.
Sophie savait se soumettre en règle générale, et quand cela était nécessaire, mais pas cette fois-là, néanmoins les deux s’aimaient réellement, mais la pudeur de l’époque matinée à la pudeur maladive de la mère, ont fait que ces deux-là ne s’étaient jamais trouvées. Et que le lien d’un amour filial ait existé.
Chez nous on sait qu’on s’aime mais on ne le dit pas !
Des apparences, mais des apparences dans lesquelles ce clivage continuait à faire mariner, et à l’âge de 15 ans lorsqu’il fut le choix de partir au lycée, ce fut naturellement que Sophie choisi la pension du lycée proche de chez grand-mère et quittera le domicile organisant sa vie à Paris.
Ainsi perdues de vue se rajouta a perdu du cœur… Perdu de vue et du cœur.
Les deux femmes ont maugrée cela toute leurs vie, chacune à sa façon, car les deux s’aimaient de cet amour confus et indicible, mais l’orgueil la fierté l’ont emporté et Françoise est partie avec cela.
Elle ne se sont jamais réconciliées et pourtant Sophie le souhaitait mais quelque chose la retenait comme si faire cette démarche était une totale remise en cause de tous ses choix. Elle en était arrivé à envisager se marier sans ses parents, mais à réussi à éviter cet irréparable.
Rue des oiseaux pâles.
Il lui tardait de les revoir, surtout de les entendre ses pioupious, enfin arrivé sur son banc préféré Alphonse est pénétré de ces réflexions qui se sont organisées tout le long du chemin, claudiquant presque, mais non, car finalement il s’y était fait à ces chaussures, ou plutôt s’était elles qui s’étaient faite à lui, et puis elles n’étaient pas si mal, sacré vendeur finalement.
Des histoires comme celle de Sophie qu’Alphonse nous fait partager, combien en connaissons nous autour de nous, et peut-être même parfois en avons-nous subies ou crées.
Alphonse a toujours dans sa boite à outils des postures intellectuelles comme : Prendre la main, garder la main, et surtout « c’est moi le Patron et non mes affects ». Ainsi il a appris à se construire en appliquant au mieux ces maximes.
Également cette fameuse pensée qu’est la PLA expliquée dans d’autres articles, qu’il aime d’ailleurs consulter. Cela pour tendre à cette finalité qu’est la PLA, être dans cette harmonie qu’apporte ce moment où l’on devient véritablement le fruit de nos déterminismes, celui où cette fraîcheur de l’enfant encore dans le Moi intime émerge et discerne.
Alphonse observant ses pioupious, se surprend à s’égarer plus que de coutume dans différentes pensées, mais plus qu’une image ce sont ces parfums des fameux gâteaux à la banane et à la noix de coco qui viennent lui flatter les narines…
Lien sur mon dernier livre : Une nouvelle psychanalyse la PAR
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