Dans l’article précédent j’évoquais qu’avant cette pandémie, notre société occidentale, reposait sur un sentiment d’invincibilité quand soudain l’entropie s’est invitée dans notre espace.
L’obligation de confinement touche plusieurs représentations propres à l’élaboration et au fonctionnement de notre psychisme. Celui d’obligation qui est le plus couramment évoqué, car effectivement nous sommes contrains par une autorité à refreiner notre naturelle propension à nous déplacer. Je développerai plus dans un autre article notre rapport à l’autorité et la façon dont nous nous sommes structurés grâce et face à elle. Cependant en touchant la notion de liberté, et l’organisation de notre rapport à l’autorité au-delà de toutes formes de morale, et du Politis, du point de vue psychanalytique cela touche la disparation narcissique de notre toute puissance.
La réflexion peut s’articuler également sur le positionnement de ce curseur qui oscille entre acceptation et soumission. Nous savons qu’autour de ces thèmes de développement que souvent le même phénomène, n’est pas vécu de la même façon. En fonction de la manière dont chacun place le curseur sur cette amplitude, cela deviendra une adaptation ou une soumission.
Nous ne sommes pas égaux face aux épreuves, et je vais montrer comment dans ces moments qui a priori sont provoqués par les mêmes conditions de confinement, les réactions ne sont absolument pas de même nature.
Je l’ai développé dans mon livre « Penser autrement pour avancer » il ne faut pas confondre fatalisme et déterminisme. Or se pose de facto la question des choix, car que choisissons nous ? Nous ne choisissons pas notre sexe, nos parents, notre éducation, nous sommes de fait les résultats de l’ensemble de ces adaptations ratées ou réussies. La psychanalyse travaille sur ces déterminismes psychologiques, par la notion de réversibilité et l’aspect mutagène du psychisme.
Je reviendrai plus en détail sur cette notion de choix qui surprend toujours lorsqu’elle est interpelée à travers ces réalités que sont les déterminismes psychologiques, nos réalités incontournables, qui sont les champs d’application de la psychanalyse.
Cela signifie concrètement que face aux évènements contemporains, en fonction de ces déterminismes psychologiques, et de nos parcours de vie, sont inscrits en nous des expériences qui ont organisées notre système de positionnement et de réaction.
Pour illustrer, je constate pour avoir un suivi régulier dans ce contexte de pandémie, que certains trouvent dans ce confinement comme une trêve, un répit, alors que d’autres subissent cela comme un désastre.
Le confinement par son effet miroir, exacerbe tout de nous, et en nous.
Le confinement ne va rien créer en lui-même, cependant par ce qu’il va activer, un état psychologique sera engendré, en réalité plusieurs états qui se superposent rendant ainsi les notions de perceptions et de discernement confuses et donc complexes. Le confinement provoque par un puissant effet miroir, un retour face à soi, et exacerbe ainsi de fait, ce qui n’a pas été abouti, et qui par conséquent est actif en nous. Nous pouvons être conscient ou non de cela, sachant que la plupart du temps ces territoires non aboutis et actifs ne sont pas identifiés.
Ce confinement nous renvoie paradoxalement à deux notions opposables. Celle de l’exiguïté que je développerai plus loin, et à cette notion très importante de vide, plus précisément de vacuité. Car les rues sont vides, les espaces emplis de silences apparaissent plus vides, c’est le silence qui remplit de son espace nos journées. Tout est à cru, les lumières, les sons.
La notion de vide d’espace, de besoin de remplir, fait perdre à l’homme les repères qu’apportait la temporalité, maintenant différente.
Ce temps est suspendu car il n’a plus le même tempo, il est plus lent ou plus rapide, les journées sont plus longues, plus courtes, les espaces entre les différentes activités ne sont plus les mêmes, et cette régularité a disparu, nous ne sommes plus que dans du relatif. Par ces manques de temporalité l’espace de fait n’est plus le même.
Nous connaissons surtout la relativité du temps et avons constaté qu’il n’avait pas la même valeur, ni la même appréciation, durant les journées interminables d’enfance, ou au contraire trop courtes, comme des semaines qui ressemblent à des années.
Il n’y a pas que la théorie de la relativité générale ou restreinte qui nous l’explique, mais le temps et l’espace sont intimement liés les journées semblent être pareilles, mais en réalité elles sont toutes totalement différentes.
Le temps pendant que nous sommes confinés ne joue plus son travail de limites de bornes.
« Le temps suspendu » nous échappe, il procède par opposition au le temps habituel que nous connaissons bien et qui nous appartenait, celui-ci nous échappe, il échappe à toute idée de contrôle et de maitrise et perdre le contrôle de ce temps, c’est essentiellement perdre le contrôle de soi, et cela est générateur d’angoisses et de paniques.
Nous savons combien contrôler le cadre est important. D’ailleurs la fameuse blague « ne t’inquiète pas je maitrise » montre bien que la perte de contrôle provoque des angoisses, d’ailleurs les routines sont là pour nous rassurer, nous fonctionnons ainsi pour la plupart, et organisons nos vies, à travers ces routines, et cela sans nous en rendre compte.
Du rituel du petit déjeuner, à la lecture avant d’éteindre la lumière, notre vie est ponctuée de ces repères tamisés par le temps, ou plutôt par son tempo qui donne sa signification à nos journées.
D’ailleurs nous savons également combien les personnes qui souffrent d’états dépressifs doivent s’obliger à organiser tout au long de leur journée des protocoles de contrôle. Sinon apparait le vide, et toutes les angoisses que la vacuité porte.
Cette dissolution de l’espace-temps renvoie à ’hypothèse de la phénoménalité sauvage que propose Kant. Dans laquelle les intuitions d’espace et de temps n’existent pas, laissant envisager un néant, un monde impensable. Perdre le contrôle du temps, c’est donc perdre le contrôle de l’espace, c’est revenir à ce temps d’avant, ce qui est non concevable, car cet état antérieur, la cognition ne peut en percevoir le sens.
Les moments d’avant sans temps sont intra utérins. Les moments d’après sont bornés, bordés principalement par le temps. Celui-ci par son tempo pose des limites, sans limites il s’agira d’un espace infini, c’est la vacuité totale, or cette vacuité, c’est la dissolution totale, la disparition, l’anéantissement de l’être.
Le confinement de façon paradoxale enlève ce repère principal de la fonction de marqueur rythmique qu’est le temps. Et nos habitudes rythmées par le temps disparaissant ou se modifiant, nous confrontent au vide.
La disparition du rempart de la temporalité nous expose pleinement à celui de l’espace. Ainsi l’espace n’est plus limité par le temps, il apparait sans limites.
Nous sommes confrontés à une notion que l’homme a du mal à concevoir : L’infini.
Apparait ainsi également la notion de relativité :
Cela est renforcé par cette perception du « temps suspendu » car tout devient latent et tout est figé, les nouvelles bonnes ou mauvaises, les promesses, les embauches, les mariages, les tribunaux tout est suspendu et figé. Tout est devenu hors sol, cela nous échappe et nous renvoi ainsi de fait et à nouveau à la notion de vide.
La vie d’avant pour la plupart d’entre nous était remplie d’obligation réelles ou imaginées, ou crées, et cela fait apparaitre la place au questionnement, Qu’est-ce que la vie ?
Nous l’avons vu l’enfant ne choisit pas, et le premier des non-choix est d’être né, et donc d’être là présent, dans cet espace qui lui est donné et qui se nomme la vie. Je défie quiconque de savoir déterminer quelle est notre fonction dans cette grande architecture du vivant, de savoir à quoi sert l’homme, à quoi sert ma vie, à quoi je sers moi.
J’ai pour ma part esquissé des réponses très pragmatiques qui s’organisent déjà sur une fonction primordiale qui est celle de la phylogénèse, car que nous le voulions ou non la mission essentielle qui nous est confiée est la survie de notre espèce humaine. « Pour en faire quoi ? » est aussi une autre question.
D’ailleurs les religieux de tous poils ont trouvé des réponses assez simples rassurantes : « c’est la volonté divine », nous expliquent t’ils, ce qui signifie « arrêtez de penser », car cette référence au fatalisme qui je le rappelle s’oppose au déterminisme, veut nous éviter cela par des codes, croyances et rituels qui nous serons imposés, comme des évitements de la métaphysique.
La psychanalyse ne va assurément pas avoir la prétention de définir la divine fonction, mais par les conseils que nous en retirons à travers l’observation de nos libertés, va assurément permettre de se prémunir contre ces manipulations.
Le marqueur de la temporalité c’est notre naissance.
La naissance fait apparaitre le temps, le temps d’avant est autrement.
Pour en revenir à cette fonction qui est dédiée au temps, nous pouvons sans crainte considérer qu’il apparait dans notre existence au moment de notre naissance, car des fonctions naturelles qui étaient automatiquement satisfaites auparavant, sont dorénavant confrontées à la présence de l’extérieur, de l’autre et de sa disponibilité.
Lacan n’a pas véritablement considéré le stade d’avant, mais il considérait néanmoins l’état d’un être morcelé, je le précise plus comme étant un état cosmologique ou tout est dans tout, une vaste mélasse d’autosuffisance dans laquelle dans un tout premier temps l’espace n’existait pas, car…. Nous étions confinés !
L’espace palpable de par son identité physique, n’apparait réellement qu’au moment de l’expulsion.
Je vais continuer à développer ces concepts dans les articles qui vont suivre.
Suggestions assorties à ce sujet :
Il est important de percevoir ce nouveau rapport au temps dans cette période de confinement, pour retrouver ou inventer de nouvelles routines.
Il est également essentiel de maintenir ou de redonner au temps ce rôle de tempo quant au déroulement de nos semaines et de nos journées, en posant des rythmes nouveaux. Tous les jours ne doivent pas être des dimanches, tous les dimanches ne doivent pas être des lundis. Les matins ne doivent pas être des soirées.
Et si nécessaire s’inventer de nouvelles routines, pour redonner au temps son rôle de tempo. C’est indispensable notamment pour nos enfants.